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Visages et Paysages d’en Haut

“Visages et paysages d'en haut” Claude Batho, Aliona Gloukhova (Éditions Fages, mai 2022, soutenue par la Fondation Facim)

Séjournant régulièrement à Héry-sur-Ugine, la photographe s'est attachée entre 1956 et 1981 à relater à travers ses clichés l'existence rude et authentique des habitants et paysans de la région sur les pentes du mont Charvin. Des années plus tard, Alions Gloukhova tisse avec elle un lien imaginaire en proposant des textes inspirés par ces photographies.

• Extrait •

Exercice de proximité n°1

1.
 Claude Batho, n’est-ce pas ?

2. 
Est-il possible de s’adresser à quelqu’un que l’on n’a jamais rencontré ? N’y a-t-il pas dans cet élan un désir d’incursion ? Ce territoire est étranger. Je fais un pas.

3. Je découvre une des photos qu’elle a réalisées — un portrait accroché au mur, un visage d’homme qui est couvert par le reflet ensoleillé d’une fenêtre — c’est une photo de photo, un portrait en évanouissement, une trace de présence.

4. Dans un dialogue avec Ann Smock ‘Speaking Without Being Able To’/ Parler sans en être capable, Jean-Luc Nancy précise que le mot retrait signifie un acte de soustraction, mais également celui de laisser une trace, faire un dessin. Dans l’absence, veut nous dire probablement Nancy, il y a le vestige d’une existence d’avant. Toute absence n’est pas totale — quelqu’un a été là autrefois.

5. L’absence est toujours une présence, potentielle ou celle évanouie.

6. Sur la deuxième photo, je la vois, elle, Claude Batho, qui regarde calmement l’objectif. C’est une photo en noir et blanc, prise de face, en gros plan. Son regard est direct. On sent sa durée au-delà de l’image figée, ses yeux longuement ouverts — j’y détecte les reflets — deux carrés lumineux. Je ne sais pas si c’est elle qui s’est prise en photo ou si elle l’a demandé à quelqu’un. Les deux carrés lumineux sont des fenêtres ouvertes.

7. La lumière trouve toujours son chemin pour atteindre la surface sensible, granulaire de la pellicule.

8. Claude Batho, n’est-ce pas ?

9. Dans l’adresse, il y a un message, un geste, un objet. On envoie quelque chose : une invitation retardée, une entente, des mots ? Ils ne prendront pas beaucoup de place, ce sera un télégramme, une paume de main qui se referme aussitôt sur un coquillage ramassé. J’ai l’obligation d’être laconique. Est- ce urgent ?

10. Je trouve d’autres photos qu’elle a faites : celle d’une balançoire dans le brouillard, celle du linge mouillé posé dans un bac sur le bord d’une baignoire, celle de l’eau évaporée qui fuit d’une casserole posée sur une table. Ce sont des objets, des éléments que l’on ne regarde plus et qui retrouvent subitement leur intensité. J’ai oublié que l’on pouvait voir le monde ainsi.

11. Ce présent ne devient jamais le passé.

12. Dans le verbe adresser, on entend se dresser, je me tiens ici sur un fil, en face, à découvert. Mon itinéraire est impossible, nécessaire.

13. Je suis dans la salle d’exposition Curiox, à Ugine. J’ai pris quatre trains et un bus pour arriver jusqu’ici. Autour de moi — 56 photos que Claude Batho a prises à sept kilomètres de là où je suis, en haut, dans le village d’Héry entre 1956 et 1981.

14. Je regarde les clichés réalisés en 1981, ses derniers — des feuillus rendus flous par le vent, une respiration sur mon visage, un arbre en fleurs comme autant de points possibles d’oiseaux, cette habitude qu’ils ont de se mettre tout en haut, en déséquilibre, avant de s’envoler.

15. Attrape ma main, emmène-moi. À qui cette réplique appartient-elle ?

16. Dans l’adresse, il y a une vitesse, une envie d’être entendu de suite. Dans l’adresse, il y a un retard, nous verrons ce que les jours font à nos messages précipités. Un visage n’apparaît pas tout de suite, il faudra respecter ces minutes que prend une pellicule plongée dans le mélange de l’eau chaude et du révélateur.

17. Suis-je insolente de m’approcher de quelqu’un qui savait attendre avant de réduire les distances, qui n’arrivait plus ensuite à envisager un éloignement trop brusque ?

18. Ces actions aux directions inverses ne sont pas sans conséquences, elles adviennent : je viens vers toi, je prends mon temps, je suis là, je vais partir.

19. Mes photographies sont trop proches, trop intérieures pour qu’avec elles je puisse rendre de la distance, dit Claude Batho, une des rares phrases qui me restent et que je cite. L’acte de citation est un pas en plus.

20. Dans l’adresse, il y a un chemin que l’on traverse pour atteindre celui vers qui on s’est élancé. Il y a une intention, une inclinaison, un itinéraire. Le mien se fait un matin sur une route de Savoie, près de Saint-Pierre d’Albigny, le sien à 43 kilomètres de là — à Héry-sur-Ugine en Haute-Savoie. J’ai rencontré un cerisier en fleurs, un nuage qui a mangé la montagne. Les a-t-elle croisés aussi, elle ?

Instruction : Disparaître/apparaître

• Rien ne disparaît (mais) tout se transforme.


• La disparition n’est qu’une ignorance géographique.


• Le chemin pour atteindre quelqu’un ou quelque chose peut être long ou court. Ceci ne dépend ni des heures ni des kilomètres. Il est à durée relative.
– Nous nous sommes rencontrés avant, nous nous rencontrerons après.


• Pour transformer une absence en présence, il faut faire de la place à l’intérieur de soi.


• On peut porter en nous des dizaines de personnes en même temps.


• Rien ne disparaît (mais) tout se transforme.


• Graine + terre+lumière + eau + air = une plante.


• Je peux parler aux personnes que je n’ai pas rencontrées et qui ne sont plus là.


• J’ai vu la photographie d’un arbre en joie, dans le vent. Depuis, la matière de ma vie n’est pas la même.


• L’absence est une présence à l’envers, c’est juste une autre « sence ».


• Cela fait des mois que je ne l’ai pas vu. Mais il suffit qu’il dise un mot dans ma tête pour que des pièces entières réapparaissent.


• Le vide n’est jamais vide, nous disent les physiciens de champs quantiques.


• J’ai passé une journée pour regarder ses photographies. Le soir, elles sont devenues mes événements.


• Toutes ces traces des personnes que l’on a tant aimées.


• Il suffit de leur parler dans une langue qui leur soit compréhensible.


• Parfois, dans ma tête, une montagne surgit. Cela veut dire que j’ai fait assez de place.

• Rien ne disparaît.

n°2

Exercice de proximité n°2 : conversations conversations

1. Qu’est-ce qui t’intrigue chez elle ? me demande Jacques.
Sa façon de s’approcher, ai-je répondu, son silence, ai-je rajouté.

2. J’ai envie de lui expliquer que les silences soulignent les mots comme les arbres portent nos regards, que certaines proximités sont rythmées par les distances. Mais je dis juste : c’est la proximité qui m’intrigue.

3. Les personnes à qui je vais parler habitent loin de moi, je les vois rarement. Jacques vit en Bourgogne, Jef vit dans les Pyrénées-Orientales, Anne vit en Isère, moi dans les Pyrénées-Atlantiques.

4. Ces personnes ont vécu en Savoie. Je me demande si cette présence verticale ne nous a pas reliés davantage ? Si ne nous sommes pas devenus proches grâce à cette montagne.

5. J’ai envie de leur poser la question : quelle est la bonne distance ? Quelle est la distance appropriée entre ceux qui se vouvoient, entre deux personnes qui viennent de se rencontrer, entre une photographe et son sujet, entre deux amoureux, deux amis, deux connaissances, deux voisins, entre les gens et les montagnes, entre ceux qui ne se connaissent pas, mais auraient pu ? La proximité m’est essentielle pour continuer.

6. J’ai besoin de la présence des autres, cet espace entre nous. M’adresser à quelqu’un est ma façon d’enquêter, je ne sais pas si elle bonne, mes répliques sont des pièces vides, portes ouvertes.

7. C’est dans cet espace que tout a lieu : un événement, une découverte, un étonnement.

8. Quand je parle à quelqu’un, je m’entends mieux.

9. Parfois je parle à Claude Batho dans ma tête, parfois je parle aux personnes dont je vois les visages sur les photos dans la salle d’exposition à Ugine, parfois je parle à Jeanine et nous sommes dans le village d’Héry, parfois je parle à Marie-Angèle, à John, à Delphine et c’est à distance ou par courrier électronique.

10. Pour m’approcher de Claude Batho, j’inventorie, je liste, je numérote mes phrases. Je compte, je distingue mes actions. Compter c’est rassurant. Quand on compte dans la tête, on voit plus clairement.

11. Pour m’approcher, je conçois des protocoles : comme lorsqu’on regarde quelque chose pour la première fois, on cherche comment cela fonctionne. Comme lorsqu’on rencontre quelqu’un, on écoute sa façon de parler, apprend son vocabulaire.

12. J’écris des instructions pour savoir comment fonctionnent : silence, oubli, souvenir, apparition, disparition, distance, proximité, toucher, regard.

13. Parfois j’ai envie de prendre quelqu’un dans mes bras, mais je me retiens.

14. Est-ce que les nuages nous sont proches, les étoiles et d’autres planètes ?

n°3

Exercice de proximité n°3

1. Je la vois.

2. Je l’imagine être assise à côté, je me permets de la tutoyer.

3. Je découvre sa posture, son silence, ses mouvements — le moment où son regard se pose, est attiré, révèle un visage, une ombre, un arbre.

4. Quand se décide-t-elle à appuyer sur le bouton de son appareil photo ? Est-ce une décision, un élan, un mouvement imperceptible ?

5. Pour s’approcher, n’est-ce pas, on ne demande pas de permission, on devrait pourtant.
Cet air entre nous est à fleur de peau, le moindre mouvement pourrait le froisser, la résonance soudaine d’un objet lointain, des cheveux hérissés, une coupure superficielle.

6. S’approcher devrait être une affaire de lenteur, silencieuse.

7. Claude aimait voir l’image apparaître, ce moment de révélation, dit John, son mari.

8. Des temps divers se superposent — un visage en face, le développement de la pellicule, une photo dans une salle d’exposition.

9. Je suis dans ce futur. Je passe un soir, un matin ensuite, une nuit, des journées d’afHilée, entourée de ses photos. Des lumières tremblent, réveillent des visages et des paysages : ils sont toujours en changement, le chemin continue.

10. Je découvre chaque regard qui me rappelle le sien — direct, calme chez les femmes, hommes, enfants, qui apparaissent sur ses images, la montagne est apaisée. Combien d’heures, de jours, de mois a-t-elle pris pour devenir cette personne dont la proximité rassure ?

11. Le rapprochement n’est pas une action quelconque, c’est un événement. La proximité demande un entraînement, est un exercice d’attention lente — une ombre, un impact sur le sol, le vide s’habitue à un nouvel emplacement des corps, au changement de distance.

12. Le vide n’est jamais vide, mais rempli de présences potentielles, tout peut y avoir lieu : une interaction, une rencontre, une amitié.

13. Pour qu’une rencontre ait lieu, j’écris. Poser des mots, l’un après l’autre, est ma façon d’apprivoiser la distance. Je me mets devant mon ordinateur, en face de la photo de l’arbre, du vent, je ne suis pas très proche, je la regarde. Certaines images sont des minutes potentielles, ai-je formulé, je vais peut-être trop vite ?

14. Je contourne, je vais ailleurs pour y parvenir, la proximité ne peut pas s’imposer. Mes détours m’amèneront quelque part, n’exprime-t-on pas ce que l’on veut quand on dit le contraire ?

15. Raconte-moi quelque chose par hasard, je comprendrai ainsi ce qui est le plus important.

16. Il ne faut pas malmener les mots, je les pose loin, leur ombre tombante, comme une possibilité de m’approcher. On voit une silhouette au bout d’une rue et on comprend qu’un ami nous manque, une branche effleure notre bras dans la forêt, fait revenir un souvenir lointain— cet itinéraire illogique de la pensée, on l’appelle un ricochet de mémoire.

17. Cette pratique de rapprochement, je l’appelle Exercices de proximité. Chaque chapitre sera un pas dans cet espace entre elle et moi .

18. Et si le cœur était un lieu, l’autre un pays étranger ? Dois-je avoir une permission ofHicielle, mes documents sont-ils aux normes, quelles sont la distance et la vitesse permises ? Combien de temps prenons-nous pour venir vers quelqu’un ? Pourrons-nous nous comprendre ?

19. Claude Batho, n’est-ce pas ?

20. Puis-je n’engager rien que la pensée d’une amitié qui aurait pu, aurait dû exister ou serait-ce plus honnête de dire — que j’aurais tant voulu ? Puis-je n’engager rien que la pensée d’une amitié, celle conditionnelle, sans avoir de vertige ?

21. Cette adresse me fait tourner la tête, j’avance pour ne pas chuter.


Instruction : Silence

• Hier j’étais silencieuse, mes mots prenaient leur temps.


• J’aime ceux qui veulent dire quelque chose et ensuite changent d’avis.


• Cet espace entre nous ne comporte aucun message.


• Quand on ne parle pas, certaines personnes sont en attente de ce qui va suivre, d’autres sont impactées par ce qui a été dit avant.


• Parfois un mot c’est déjà de trop.


• Qu’est-ce que tu as tu ?


• C’est une photo prise après qu’un mot a été prononcé, mais pas encore entendu.


• En russe, silence se dit tishina, on dirait un nom de rivière.


• Je parle à certains objets, meubles, jours de la semaine et ils me répondent.


• Il y a des photographies qui sont plus silencieuses que d’autres.


• Tu m’entends ? Je ne t’ai pas parlé.


• Je lui ai dit deux mots, il y a deux ans. Il les a portés tout ce temps et me les a rendus hier. Les mots n’ont pas vieilli, mais je n’étais plus là.
– Je me tais en présence des autres, je parle toute seule.


• Si tu as envie de dire quelque chose, compte soixante secondes, reviens en arrière, parle.

n°4

Exercice de proximité n°4

1. Maman écrivait des lettres à ses Qilles lorsqu’elles étaient loin d’elle, à quelques amies aussi. Son écriture était large, liée, lisible. Elle ne prenait pas de notes, ne faisait pas de listes2.

2. Dans le message électronique de Marie-Angèle, il m’est impossible de voir comment elle écrit ses mots à la main. J’essaie d’imaginer : lettres droites ou inclinées, petites, moyennes, grandes, déliées ? Notre façon d’écrire, est-elle transmissible comme le sont des expressions de visage de nos parents? Nous ressemble-t-elle ? Est-ce que ses rythme, élan, vitesse, largeur nous racontent ?

3. Je connais à peine l’écriture de mes proches, de mes amis, je peux imiter leurs signatures quand ils me le demandent.

4. J’écris rarement les lettres à la main.

5. La dernière carte postale que j’ai envoyée était adressée à quelqu’un qui habite à Paris, quelqu’un que je ne connaissais pas assez, c’était une façon de m’en approcher.

6. Chère Claude Batho, n’est-ce pas ?


7. Je mets une feuille A4, ma distance à parcourir sera celle d’une feuille 21 x 29,7 à remplir avec mes mots. Combien d’heures, années, pas, kilomètres ? Puis-je lui écrire en russe ?

8. (Chère est-ce trop ?)

9. La première fois que j’ai vu ses ( vos?) photographies, j’étais en Savoie, à Saint-Pierre d’Albigny et mon ciel était clair. Nous avons fait une promenade avec Anne, la couleur de cette montagne change tout le temps, lui ai-je dit, sa surface me paraît familière, tendre.
On s’y habitue un jour ? lui ai-je probablement demandé.
Dois-je déménager ?
Je dévie, ce n’est pas ce que je voulais raconter, je fais des détours. Il faisait froid, c’était le mois de novembre. La soirée d’avant je l’ai passée allongée sur le dos par terre à côté du potager, je voulais changer de point de vue, ralentir le temps à l’intérieur. Je restais en Savoie sans savoir exactement pourquoi. Le lendemain matin, par téléphone, Anne m’a parlé de Clade Batho (de vous, j’écrirais) et c’est ainsi que j’ai su que ce paysage appartenait également à quelqu’un d’autre. J’ai cherché des photographies, vu des objets — au bord de la fenêtre (panier à salade), sur la table (casserole), en Hlottaison (bouquet de Hleurs dans un seau accroché au mur). J’ai regardé les objets autour de moi — une tasse avec des taches de café posée sur le livre d’une poète biélorusse, je ne l’ai pas rangée depuis hier, quelques cailloux ramassés dans les champs (je voulais garder le bleu de ce matin), un torchon sur la table. J’ai ressenti qu’une proximité était possible.

10. Il y a une photo de sa photo (votre photo ?) que j’ai faite. Celle du Chalet de la Dié dans la brume, elle a pris les lumières provenant de l’extérieur, des carrés lumineux de la structure architecturale de l’ancienne église moderne, de petites fenêtres blanches sur les arbres. Certaines photos ne sont jamais prises déHinitivement, sont toujours en train de se faire.

11. (Puis-je vous tutoyer ?)

12. Chère Claude, n’est-ce pas ? Aujourd’hui je suis tombée amoureuse d’un arbre, je dévie.

13. Il y avait des cerises si rouges, noires, bleues, j’en ai mangé une poignée, Jacques m’a dit que c’était interdit, cet arbre appartenant probablement à l’État, probablement à quelqu’un. Il y avait cette herbe blanche haute, elle courait, un lapin a traversé ma route.

14. Dois-je parler de la montagne ?

15. Ce qui est toujours là nous échappe. Je l’ai vue couverte à 6 heures du matin, je l’ai vue bleue et noire, je l’ai vue rouge, je l’ai vue oubliée par la neige. Depuis je l’appelle ma montagne, tout le monde pense que c’est une plaisanterie, mais je suis sérieuse. C’est la mienne, c’est permis à ceux qui ont perdu leur pays.

16. Certains paysages s’installent en nous sans que l’on ne s’en rende compte. Je ne sais pas comment on choisit nos forêts, pourquoi certaines lignes nous paraissent davantage nôtres, lacs, lumières ? Y a-t- il une boussole intérieure, où est-elle ?

17. J’ai d’autres questions aussi.


18. Peut choisir à nouveau notre pays de naissance ?

19. Comment sait-on que c’est là : l’amitié, le moment d’appuyer le bouton de l’appareil photo, un mot à dire, le temps de partir et celui de revenir ?

20. Quelle est la bonne distance ?


21. Est-ce que dans mes pensées, je peux lui (vous, te ?) parler en russe ?

22. Le matin très tôt à l’aube ou le soir juste avec le coucher ?


23. Que met-on à la Hin du message que l’on ne veut pas du tout terminer ?

Instruction : Souvenir/Oubli

• Sais-tu, nos souvenirs ne se placent pas dans des tiroirs séparés, en attente d’être ouverts, mais nous entourent, tombent sur nous : cette lumière, ce vent, cette colline.

• À la place d’un souvenir introuvable, une pièce fermée, on peut en mettre un autre. Il est possible que personne ne se rende compte de ce remplacement, même ceux qui y sont impliqués.

• Je l’ai essayé une fois. Depuis je le fais tout le temps, mes heures parfois chargées, cela veut dire que je suis dans plusieurs endroits en même temps. Mon souvenir de l’été dernier s’est perdu dans la poche d’un inconnu.

• Quand je ne sens plus mon visage, je me souviens d’une personne qui m’a aimée, ainsi je peux sentir à nouveau mes traits. Ce regard d’autrefois me soutient.

• Comme le regard de quelqu’un qui te prend en image, son attention change à jamais ta posture.

• Sais-tu que nos souvenirs ne nous appartiennent pas ? Nous ne pouvons rien effacer, même quand on en a envie, certains événements se cachent de nous, on ne soupçonne pas leur présence.

• Peut-être un jour, tu te souviendras d’une autre personne qui était toi, mais ne l’est plus. Peut- être que ce souvenir sera complètement inventé.

• Dans certaines de nos photos, nos visages sont découverts, mais c’est parce qu’une personne derrière l’objectif a pu sentir cet espace entre nous.

• On peut se mettre à côté de quelqu’un dans le passé, même si on a hésité à le faire sur le moment. C’est ainsi que cette personne aujourd’hui se sentira davantage rassurée.

• Chaque jour de la semaine amène son passé.

• Certains de mes souvenirs peuvent se mettre sur ton chemin par hasard.

• À 7 ans, je me suis trop éloignée de la maison, parce je suivais quelqu’un qui marchait très vite. C’est peut-être pour cette raison qu’aujourd’hui je m’arrêtes plus souvent pour tourner la tête. Je garde le point de départ et le point d’arrivée dans mon corps pour être sûr de savoir comment revenir.

• J’ai complètement oublié cette personne avant de découvrir avec une évidence certaine que tout ce temps, elle était à côté de moi.

• Les photographies qui n’ont pas de poids se font dans les moments où l’on s’oublie, ainsi nos secondes deviennent légères.

• Il n’y a personne pour inventorier nos passés. Les dates sont mélangées, indéchiffrables, les événements éloignés arrivent en même temps.

• J’ai mis le souvenir d’un arbre dans la brume à la place de celui où je n’arrive pas à trouver quelque chose. Depuis ma mémoire m’inquiète moins, il y fait plus calme, même si j’y vois moins. Tout le monde le sait : le brouillard arrondit les angles, fait oublier les objets perdus, cache les minutes tristes.

• Il y a ces moments où l’on décide de se rappeler : un point ensoleillé sur une trajectoire incertaine.

• Un souvenir joyeux, me diras-tu, n’est pas calculable. Mais quand tu y es, tu le sens, te répondrai-je.

• Je me rappelle de ce voisin que l’on voyait toujours de dos depuis le deuxième étage où je vivais. Il promenait son chien : toujours les mêmes horaires, itinéraires. Deux jours après que j’ai laissé ouverte l’une des fenêtres de ces souvenirs, il est parti en voiture, a pris avec lui une valise et un sac de parapente.

• Si tu te souviens de ta vitesse d’autrefois, tu pourras peut-être courir à nouveau.

• Nos souvenirs ne nous oublieront jamais. Cela s’appelle une Hidélité mnémonique.

• Un jour, quelqu’un m’a dit, je n’arrive pas à écouter ce que tu dis, parce que je regarde tes cils et j’ai l’impression qu’ils ont poussé. Quand je pense à cette personne, je la vois sonner à ma porte.

• Peut-être qu’en ce moment même, quelqu’un se souvient de toi. – Peut-être est-ce moi.

Visages et Paysages d’en Haut